samedi 13 décembre 2008

Everest


"Ça te va bien le soleil", il dit. Et puis "tu es mon Everest".
Alors il est où le coeur ? Parti avec l'autre, celui qui prend et qui ne donne pas. Celui qui ne dit rien, jamais, qui touche et qui regarde, c'est tout. "On va prendre une pompe, et on va le regonfler, va, on va le faire battre à nouveau, et fort." Mais après, après celui qui n'est pas là et qui reviendra. Après la première et la dernière phrase. Quand tout aura été pris et que rien ne pourra plus être donné.
(illustration: Pilules bleues, Frederik Peeters)

vendredi 21 novembre 2008

Coup de froid


J'ai mis mon gros pull en laine, avec un col roulé, mon manteau rembourré avec des plumes d'oies. j'ai enfilé mes bottes en caoutchouc ridicules, mes mitaines avec les pompons rouges qui balancent, ma tuque piquante et mon écharpe qui fait trois tours. J'ai fait bien attention à rien laisser dépasser, pour pas que le froid vienne me piquer la peau. Je me croyais bien protégée, mais ça n'a pas suffi. Je l'ai attrapé quand même. Encore.

lundi 3 novembre 2008

Un éléphant dans le salon

Il est là, bien peinard, au milieu du salon. Énorme. Il a tout bousillé sur son passage, écrasé le canapé, mis en pièces le fauteuil Louis XV. Il s'est vautré sur le tapis, a dégueulassé le parquet ciré. Maintenant il s'attaque à la bibliothèque, déchire une à une les pages des livres, fait des boules de papier qu'il envoie valdinguer contre les murs. Le boucan qu'occasionne le moindre de ses déplacements est à peine croyable, l'odeur intolérable. Ça fait des semaines qu'il s'est incrusté, je bute sur lui à chaque fois que je me déplace d'une pièce à l'autre, et ça n'a pas l'air de le gêner. À peine un coup d'oeil de côté quand il me voit passer, un mouvement de queue, comme un tic nerveux, et de nouveau il se baffre, serein. J'ai bien pensé à lui dire de dégager, mais il faudrait pour ça qu'il m'entende, et le bruit de ses mastications modère mon enthousiasme. J'ai donc décidé de l'ignorer.
Depuis, mon éléphant et moi, on se fait des soirées télé. Coincée entre son postérieur et le bord du canapé, je tente de donner un sens aux bribes de phrases que je parviens à sauver du marasme, tandis qu'il se balance pesamment d'une patte sur l'autre, avant de se mettre à ronfler. Le matin je le contourne pour aller me laver, il me lance un regard torve et s'affaire à déchiqueter ma collection entière de bd. Je lui ai donné un double des clefs, pour qu'il puisse jouir de sa liberté, mais il refuse de bouger. Mon appartement est un capharnaüm, je suis trop fatiguée pour travailler. Peut-être faudrait-il penser sérieusement à déménager.

jeudi 25 septembre 2008

French touch

Quand elle n'a pas ses doigts dans mes cheveux ma coiffeuse coupe ceux des stars. Elle me parle de sa soirée ratée avec Philippe Falardeau. "Mais t'étais où hier soir, je t'ai pas vue, il m'a lancé ce matin", elle me dit. Et : "tu comprends, moi, les soirées avec plein d'artistes..." Ma coiffeuse a l'élégance de m'écouter lui raconter mes histoires d'amour ratées et d'en rire, seulement quand j'en ris moi même. Elle me parle de sa dernière flamme, un Français aux allures de mannequin, un peu jeune, mais tout de même. Elle se demande s'il flirte, ou si il est seulement gentil. "On a dansé collé collé toute la soirée. Il veut me revoir", elle me raconte. "Gentil, sûrement pas", je lui dis, "un Français, quand il te fait les yeux doux, danse avec toi, et te rappelle le lendemain, c'est sûrement pas pour faire la cuisine."

jeudi 4 septembre 2008

Toi, moi, et Facebook


(illustration Joann Sfar, Pascin. La Java bleue).
Avant Facebook les choses avaient une fin. Elle le rencontre, ils se plaisent, mais leur amour est impossible. Ils le savent, savourent l'instant, se taisent au moment de se dire au revoir. Dans son souvenir à elle, l'homme idéal, c'était lui. Dans son souvenir à lui, la femme parfaite, c'était elle. Des heures et des heures de flash-backs en perspective pour les années à venir et la certitude que rien, jamais, ne saura effacer leurs belles certitudes. Et puis voilà, Facebook arrive.
Elle le rencontre, ils se plaisent, mais leur amour est impossible. Ils le savent, savourent l'instant et, au moment de se dire au revoir, l'un d'entre eux demande : "tu es sur Facebook?". Elle aura désormais accès à ses échanges les plus intimes, aux photos de ses dernières vacances à la mer, aux moindres détails de son quotidien. Il pourra à loisir la voir sous toutes ses coutures, admirer le pédigrée de ses nombreux "amis". Il faudra bien qu'ils entretiennent un début de correspondance. Elle, décontractée, séduisante et lui, drôle, plein d'esprit. Et puis elle lira les messages sur son wall, et comprendra que ce qu'elle croyait n'être réservé qu'à elle, ces mots, ces sous-entendus, il les réserve aussi à d'autres. Il se lassera, à la longue, de la distance et ses messages se feront plus courts, plus espacés. Le contenu de leurs échanges se révèlera forcément banal, et bientôt l'indifférence prendra le pas sur la prime curiosité. Et parce que résilier un ami Facebook est bien moins anodin que l'ajouter, parce que l'ambiguïté est bien plus facile à administrer que la plus simple des honnêtetés, il ne restera plus de leur rencontre que leurs profils échangés, soigneusement oubliés.

mercredi 27 août 2008

Holocoast to coast

Dans le milieu culturel québécois on a le sens de la mesure, et de la formule... Où l'on apprend que le Canada est aux mains d'un gouvernement nazi qui traite ses artistes comme les juifs allemands pendant la seconde guerre mondiale. Dans un tel contexte peut-être serait-il raisonnable de suggérer fortement à quelques-uns d'entre-eux de s'exiler le plus loin possible avant la prochaine rafle.

mercredi 20 août 2008

menteuse

C'est mieux comme ça, ils disent. Mieux pour moi. Il n'avait rien à me donner, c'est sûr, rien de bon en tout cas. Rien que du vent et des mots creux, balancés comme des pierres. J'ai la force, la volonté et je suis dure comme le roc. J'ai pas de noeud à l'estomac, non, je crève pas d'envie de le lui dire, encore, au cas où. Je ne rêve pas de me lover là, tout contre lui, avant la nuit. Je n'y pense pas, jamais. Je préfèrerais sauter du troisième étage plutôt que de le revoir, juste une fois. C'est vrai, je le jure, que j'ai perdu le souvenir de sa voix.

jeudi 14 août 2008

vendredi 1 août 2008

Transe


Ah mais c'est quoi cette fille qui fait des grands mouvements avec ses bras, toute seule au milieu de rien, avec sa capuche orange. Y'a bien deux minutes qu'elle est là, à faire des sons avec sa bouche et le bruit du vent avec ses bras. Elle gesticule tellement qu'on a pas fait attention à sa voix. Les mouvements s'accentuent, elle a l'air de se désarticuler et sa voix qui augmente encore et qui grimpe et qui sort de ses entrailles. et puis d'un seul coup c'est comme s'il n'y avait rien eu avant elle, y'a plus qu'elle. Elle a pris tout l'espace, on est conquis, amoureux fous, on va devenir dingues. Elle balance ses bras d'arrière en avant comme si elle voulait qu'ils se détachent et tombent vers le sol. Le rythme est devenu sourd, maintenant elle bondit sur place et nous avec et on a plus besoin de rien, de rien d'autre que ce moment et ça nous remplit tellement qu'on en a complètement oublié la fin. Ça fait deux heures déjà et on frappe si fort sur le sol à chaque fois qu'elle fait mine de s'en aller que ça tremble sous nos pieds. Elle revient une dernière fois, épuisée, avec la voix qui déraille un peu mais c'est si sublime qu'on entend pas un souffle dans cette salle gonflée de monde à craquer. Y'a plus rien à ajouter.

mardi 29 juillet 2008

Tu n'existes pas


C'est certainement par la grande porte qu'il l'a fait entrer. Celle-là même qu'il a violemment refermée aussitôt qu'elle eu mis un pied à l'intérieur. Refermé la porte sur elle, la privant du même coup de son pied droit et de sa faculté de marcher. Ensuite il a oublié de s'excuser, pas seulement pour la douleur causée, mais pour ce qu'elle aurait à endurer d'exercices matin et soir pour retrouver l'équilibre. Et c'est précisément de ça dont il est question. De ce balancement vers le vide, cette petite, légère inclinaison quand elle traverse la rue, qui lui donne l'air d'avancer courbée. Elle aurait pu le maudire pour ça, mais tout ce qu'elle a trouvé de moyen pour en finir avec sa peur de tomber, c'est de le résilier. Une par une, elle a méthodiquement effacé toutes les traces de son passage. Sur son téléphone, d'abord, elle a supprimé son nom et ses coordonnées. "Deleaté", lettre après lettre, chiffre après chiffre. Et puis elle l'a mis au ban de sa liste de contacts msn et, pour finir, elle s'est débarrassée de son profil Facebook. Photos, vidéos, commentaires sans importance, balayés d'un seul clic, comme s'il n'avait jamais existé. Et, de fait, il n'existait pas.

jeudi 24 juillet 2008

Du cycle de la vie

Merveille des merveilles, il pleut mais j'en ai rien à battre. J'ai le coeur bien au chaud, je peux même fumer une clope toute seule sur mon balcon en écoutant des vieux tubes de U2 sans déprimer. Ce qui me fait penser que cet état de béatitude va bientôt cesser. C'est pas possible, de se sentir aussi bien quand il fait un temps de merde et qu'on doit faire une entrevue avec un prof de génie chimique pour écrire trois feuillets sur les biocarburants. Si la loi des séries existe bel et bien, cette série là atteint son paroxysme, et la suivante, en toute logique, devrait contenir son lot de catastrophes. Reste à savoir quelle attitude adopter face à la menace d'adversité:
1) Se dire que, finalement, on y peut rien, et que si tout n'est qu'une question de cycle, les bonnes nouvelles devraient succéder aux cataclysmes à venir. Et donc, s'en tenir à l'attitude la plus décontractée possible, respirer, inspirer la fumée.
2) Tenter de contrer l'imparable, en commençant par croire aux miracles. Si si, c'est possible, d'être toujours sur une pente ascendante, il suffit de regarder bien droit devant soi et de continuer de marcher. Mais à la longue, ça épuise, et puis c'est souvent sur les côtés qu'on trouve des choses intéressantes, une petite fleur, un escargot, un homme tout nu dans les broussailles. En fait, la ligne droite, c'est chiant. Tiens, je vais fumer une clope.

mercredi 23 juillet 2008

Loin des yeux, près du coeur

La distance, ça rapproche. Oui, mais alors est-ce que l'intensité du rapprochement varie avec l'importance de la distance ?

vendredi 18 juillet 2008

Maman blues

J'ai perdu mes jambes. Hier, soir. Seule devant la télévision, assise sur mon canapé vert dégueuli je ne me suis pas rendu compte tout de suite que mes pieds n'étaient plus là, pas plus que mes genoux, mes cuisses, et tout ce qui s'en suit. C'est quand j'ai voulu me lever pour aller fouiller dans le frigo que j'ai réalisé l'ampleur du désastre. Là, sous mon nombril, plus rien, le néant,à peine un flottement, la sensation d'un reste. Voilà, c'est maintenant, me suis-je dit. Et puis, "il va falloir ramper ferme." Ranger les jouets épars, faire une machine avec les tee-shirts couverts de sauce tomate, les pantalons remplis de sable et les petites, minuscules chaussettes dépareillées; vérifier, trois fois, que la fenêtre de la chambre est bien fermée pour que la pluie ne vienne pas mouiller le petit lit vide. C'est dingue ce qu'on peut faire, sans ses jambes.

jeudi 17 juillet 2008

Julie Delporte's poetry

Ah mais il y a quand même des gens pour qui Facebook n'est pas un simple déversoir de fonds de poubelle. Celle là, par exemple, aurait bien pu ne pas nous faire profiter de sa vision de l'amour, ce qui aurait été bien dommage:
http://www.stoc.be/acsr/stagearte/deficit_desordre.mp3

lundi 14 juillet 2008

Des idées pour Réjean


Réjean, puisque tu ne manques pas d'ambition, et parce que chacun de tes textes réjouit au plus haut point mon amie Mika, je serais d'avis que tu ne limites pas ton enthousiasme délicat pour la racaille à quelque vague dictateur africain. À venir, donc, dans la section "personnalité de la semaine":
-Un hommage posthume au grand Mohammed Suharto, le "père du développement", dont l'oeuvre fut saluée, ne l'oublions pas, par le FMI, la Banque Mondiale et la CIA.
-Un portrait émouvant de Bachar el-Assad, dont la prestance et la moustache, particulièrement lors des défilés militaires, font l'envie de bien des présidents français.
-Un réquisitoire enflammé en faveur d'Omar el-Béchir, un battant qui a su se jouer du destin en embrassant une carrière militaire prestigieuse, et ce malgré ses origines modestes.
-Une entrevue psycho pop avec Alexandre Lukachenko, dont la résilience force le respect et nous donne, à tous, des raisons d'espérer.

dimanche 13 juillet 2008

Lendemains qui chantent

"En général, demain ça va mieux", me sert Françoise, qui ne se prétend pourtant pas chantre de la pensée positive, au sortir d'une énième conversation destinée à me retaper le moral. Ah mais putain, quel à propos, me dis-je. Et de penser qu'il serait temps de revoir mes maigres ambitions du lendemain, puisqu'il sera, comme elle le dit, certainement mieux. D'autant que je me suis fait dire, et trois fois plutôt qu'une, que mes errements pseudo littéraires et faiblement existentialistes valaient bien une scène. Du coup, à défaut de public, me voilà de nouveau dans l'introspection abusive, avec l'avantage bizarre mais délectable de ne m'adresser à personne, une aubaine quand on est pas porté sur l'autosatisfaction.

samedi 31 mai 2008

La fin des haricots

"En titubant, j'ai jamais rencontré de gens intéressants", dit-elle en épluchant son homard à peine remis de sa baignade en eaux troubles. La saison des bestioles à pinces a commencé et avec elle un florilège de phrases sans queue ni tête.